La fermentation dans le café : les expérimentations

publication le 22 juin, 2024 — par Marc-Alexandre Emond-Boisjoly — 20 mins de lecture —


Comme nous l’avons vu dans notre article précédent, la fermentation est une étape cruciale et nécessaire dans le passage de la cerise de café au grain vert.

Depuis quelques années, les producteurs expérimentent autour de la fermentation contrôlée. Ils ajoutent des étapes de fermentation, utilisent des levures externes, des champignons, le jus provenant d’autres cerises de café, des fruits séchés, font de la fermentation prolongée, … Ces étapes permettent de révéler le meilleur de chaque cerise de café, mais aussi (et surtout) de créer de nouveaux profils de dégustation tout en élevant le prix de vente.

Dans ce dernier article, nous verrons les nouvelles expérimentations les plus populaires en ce moment, leurs impacts sur la tasse finale, leurs coûts et les risques encourus par les producteurs et productrices.

 

La pré-fermentation

La cerise est entreposée quelques heures juste après sa cueillette, sans être abîmée. 

Cette pré-fermentation permet de débuter une fermentation interne (comme pour un naturel). Si cette pré-fermentation est correctement contrôlée, idéalement entre 24 et 48 heures selon le climat et l’épaisseur de la couche de cerises, elle peut ajouter de la sucrosité et des notes plus intenses de fruits dans la tasse [1].

Gros plan sur le développement de champignons de Koji sur des grains de café

La fermentation inoculée

Des bactéries ou levures choisies sont introduites lors de la fermentation

L’inoculation de la fermentation, utiliser une culture de départ, est relativement peu coûteuse et facile à mettre en place, et ses bénéfices sont grands. Elle permet de réduire le temps de fermentation, d’augmenter son efficacité, de limiter le développement de champignons indésirables et d’augmenter la qualité finale de la tasse en termes de saveurs et d’arômes. 

De plus, le choix de la culture de départ permet d’orienter le développement de certains arômes et donc donne un niveau de prédiction sur la qualité du produit final [2, 3, 4].

Les expérimentations sur l’utilisation de la culture de départ sont conduites depuis de nombreuses années. Les fermes ont maintenant à leur disposition de nombreuses techniques vérifiées qu’elles peuvent mettre en place relativement rapidement.

  • Utilisation du jus des cerises de café

Les cerises de café, lorsqu’elles sont fermentées entières, produisent du jus. Ce jus contient une concentration élevée de levures et de bactéries déjà présentes sur les cerises

Ce jus peut provenir soit du même lot (par exemple, lors de la fermentation en bacs humides, le jus produit par les cerises en macération est réintroduit dans le même bac) ou d’un lot différent (par exemple, le jus résultant de la macération carbonique d’un lot différent) [5].

  • Utilisation de levures isolées mais déjà présentes dans la cerise ou le grain

Certaines levures naturellement présentes et ayant un impact sur la qualité finale du produit sont isolées et mises en culture pour augmenter leur concentration. Cette culture va forcer la fermentation spontanée de ces levures ce qui va permettre de standardiser le processus et diminuer l’acidité du produit final.

  • Utilisation de levures, bactéries ou champignons externes

Des expérimentations ont été réalisées en utilisant des levures traditionnellement utilisées dans le domaine viticole et de la bière ce qui donne des cafés plus fruités, floraux et sur des notes de thé [6]. D’autres expérimentations ont été réalisées en utilisant des cultures de koji, un champignon traditionnellement utilisé pour la fabrication de la sauce soja et du saké. Le résultat est une tasse plus soyeuse, qui peut rappeler la soupe miso [7].

La co-fermentation

Ajout d’éléments aromatiques extérieurs 

Ce type de fermentation est actuellement très controversé, principalement parce que la transparence dans les procédés n’est pas toujours totale. 

Le grain de café, généralement lors d’un procédé lavé, va être mis en contact avec un élément aromatique comme de la fraise, des fruits jaunes ou de la canelle, lors d’une fermentation anaérobique. Tout comme pour l’utilisation du jus de cerises de café, cette co-fermentation va permettre au grain d’absorber des éléments aromatiques, mais cette fois-ci qu’il n'aurait pas développé naturellement. Cela va permettre d’augmenter la valeur du café et son profil aromatique.

Grande cuve pour la fermentation anaérobique du café

La fermentation longue

Fermentation plus longue que la moyenne

Le terme “fermentation longue” va énormément dépendre de la région de production et du climat lors du traitement du café. Il s’agit principalement d’une fermentation beaucoup plus longue qu’habituellement. Pour certaines régions, il s’agit de seulement plus de 36h, pour d’autres cela correspond à une fermentation de plus de 96h. 

Le terme “fermentation longue” peut aussi être ambigu car le processus de dépulpage complet n’est pas toujours précisé : est-ce une fermentation anaérobique étendue dans un procédé lavé ? ou un procédé naturel plus long mais correctement géré ? ou une pré-fermentation relativement longue avant un procédé miel ? ou encore une fermentation plus froide et plus longue ?

Quoi qu’il en soit, une fermentation vraiment très longue (plus de 96h) n’apporte pas toujours un résultat pertinent, voire peut commencer à développer des défauts comme des champignons (il existe bien évidemment des expérimentations qui prouvent le contraire [8]). Comme la fermentation est la dégradation d’éléments en d’autres composés, une fois que tout a été dégradé et transformé, il n’y a plus rien à transformer à moins d’ajouter d’autres éléments. 

Cela dit, une fermentation longue correctement contrôlée peut justement aller finir de transformer les levures et bactéries présentes pour aller chercher des saveurs plus prononcées, plus proches de vins rouges ou de fruits très intenses. Malheureusement, le processus n’est pas toujours stable et peut présenter des risques pour le producteur ou la productrice.

La fermentation lactique

La fermentation lactique est plus répandue dans l’industrie alimentaire pour ses caractéristiques de préservation. En plus de prolonger la durée de vie des aliments, les bactéries lactiques améliorent les saveurs, les arômes et la texture des aliments et des boissons.

Dans le domaine du café, on recherche cette fermentation pour apporter une rondeur, un crémeux dans la tasse ainsi que de l’”umami”. Mais il est très compliqué et très coûteux de créer un environnement favorable au développement d’une fermentation lactique pour le café : 

  • ces bactéries sont naturellement présentes dans les cerises de café, une fermentation lactique se produit donc naturellement
  • ce sont des bactéries qui peuvent se développer autant en présence ou en absence d’oxygène, mais se développent mieux en milieu anaérobique (moins de compétition avec les autres bactéries) [9]
  • ce n’est pas la seule fermentation qui va se développer dans un environnement anaérobique à moins de traiter les cerises avant la fermentation et d’inoculer la fermentation avec des bactéries lactiques
  • ces bactéries sont chères, fragiles et doivent être conditionnées dans un milieu humide et froid (contrairement aux levures qui sont sèches) ce qui augmente leur coût

De plus, les recherches actuelles n’ont pas démontré que la fermentation lactique seule apporte des attributs spécifiques au café [10].

Conclusion

Ces nouvelles méthodes de fermentation contrôlées en temps et en température permettent d’assurer une consistance dans le produit et de lui faire développer des saveurs bien spécifiques et contrôlées.

Bien que très bénéfiques, ces procédés doivent être étroitement surveillés car des fermentations trop longues peuvent provoquer la formation de saveurs non-désirées et réduire à néant les efforts pour obtenir une tasse de meilleure qualité. De plus, la mise en place d’étapes plus complexes a un coût non négligeable pour le (la) producteur(trice) : c’est un investissement en argent, mais aussi en temps de formation, de recherche et développement et donc un risque de pertes important le temps de trouver la méthode la plus adaptée à la variété, au climat et aux infrastructures.

L’utilisation de fermentations contrôlées dans le processus de dépulpage de la cerise de café risque de rester quelque chose d’”exotique” dans le monde du café, même de spécialité, ce qui permet de laisser encore toute la place à un “simple” naturel ou lavé. L’important dans l’utilisation de ces nouvelles méthodes est la transparence du processus afin de correctement informer le consommateur.

Merci à Macarena, Sebastien Ramirez pour les photos

Références

[1] https://www.fantine.io/2022/coffee-fermentation-things-you-didnt-know/

[2] “A Review of Coffee Processing Methods and Their Influence on Aroma”, B. Girma, A. Sualeh, International Journal of Food Engineering and Technology 2022; 6(1): 7-16, https://www.researchgate.net/profile/Abrar-Sualeh/publication/359746797_Bealu_Girma_Abrar_Sualeh_A_Review_of_Coffee_Processing_Methods_and_Their_Influence_on_Aroma/links/624ca2bdd726197cfd3e1403/Bealu-Girma-Abrar-Sualeh-A-Review-of-Coffee-Processing-Methods-and-Their-Influence-on-Aroma.pdf

[3] “Challenges in Specialty Coffee Processing and Quality Assurance“, P. Poltronieri , F. Rossi, Challenges 2016, 7(2), 19, https://www.mdpi.com/2078-1547/7/2/19

[4] ”Coffee and Yeasts: From Flavor to Biotechnology”, L. L. Ruta, I. C. Farcasanu, Fermentation 2021, 7(1), 9, https://www.mdpi.com/2311-5637/7/1/9

[5] https://coffeegreenbeans.com/blogs/producers/mosto-fermentation-process

[6] “A Consumer Assessment of Fermented Green Coffee Beans with Common Beer/Wine Yeast Strains for Novel Flavor Properties”, N. Calderon, G. Zhujun Jiang, P. A. Gibney, R. Dando, Fermentation, 2023, 9(10), 865., https://www.mdpi.com/2311-5637/9/10/865

[7] https://coffeegreenbeans.com/blogs/producers/step-by-step-fermentation-with-koji

[8] https://www.baristahustle.com/i-would-ferment-five-hundred-hours/

[9] https://www.baristahustle.com/blog/the-possibly-lactic-process/

[10] https://www.fantine.io/2022/lactic-acid-fermentation-coffee-101/

[11] “Method of Technological Change: Experimental methods in coffee post-harvest processing”, Timothy H. Heinze, avril 2021, https://www.researchgate.net/profile/Timothy-Heinze-3/publication/351460696_Method_of_Technological_Change_Experimental_methods_in_coffee_post-harvest_processing/links/60996970299bf1ad8d907b9a/Method-of-Technological-Change-Experimental-methods-in-coffee-post-harvest-processing.pdf

[12] “Influence of fermentation conditions on the sensorial quality of coffee inoculated with yeast”, M. C. Batista da Mota, N. N. Batista, M. H. Sances Rabelo, D. E. Ribeiro, F. Meira Borém, R. Freitas Schwan, Food Search International, Vol 136, Octobre 2020, https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S096399692030507X

[13] “Coffee bean processing: Emerging methods and their effects on chemical, biological and sensory properties”, N. A. Febrianto, F. Zhu, Food Chemistry, Volume 412, 30 June 2023, https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S030881462300105X



Laissez un commentaire

Veuillez noter que les commentaires doivent être approuvés avant d'être affichés